Doucement mais sûrement, l’homme repense la relation à ses frères pas si inférieurs. Se dirige-t-on vers une déclaration des droits des animaux?
Des partis pro-animaux qui commencent à proliférer aux quatre coins de l’Europe; un candidat qui se lance dans la course à l’Elysée sous les couleurs de l’animalisme; des essais ou des manifestes lancés à grand renfort de publicité pour interpeller les politiques sur la protection des êtres vivants… Décidément, la société occidentale n’a jamais semblé aussi préoccupée par l’éthique animalière. Est-ce à dire que la «révolution animale» annoncée par nombre de philosophes et de scientifiques contemporains serait en marche? Une chose est certaine: les lignes bougent.
Et, au rythme de la tortue, bouleversent en profondeur nos structures. C’est ce que confirment en chœur l’avocat zurichois spécialisé dans les questions animales Antoine Gœtschel et l’écrivain Karine Lou Matignon, conceptrice et directrice de l’ouvrage collectif «Révolutions animales» (Ed. Arte/Les liens qui libèrent, 2016): «Nous sommes devant une évolution scientifique, morale, juridique ou encore technologique qui annonce un véritable chamboulement sociétal.»
Sensibilisation en cours
Un chambardement dont on perçoit les «premiers frémissements», note le journaliste et essayiste végane Aymeric Caron. De fait, même si les «carni-piscivores» sont encore légion, on constate une nette augmentation des adeptes du «no meat» – parmi lesquels des stars comme Natalie Portman, Jared Leto ou Vanessa Paradis. Corollaire de cette explosion végé? Un foisonnement inédit de blogs et de livres de recettes estampillés «veggie». Et l’éclosion d’un nombre impressionnant de produits de consommation courante, de cosmétiques, d’adresses, de salons et de restos végé-friendly. Comment comprendre ce changement de paradigme? D’où vient cette «lame de fond», selon l’expression du philosophe Dominique Bourg, professeur à la Faculté des géosciences et de l’environnement à l’Université de Lausanne?
Pour Aymeric Caron, antispéciste qui a fait de la défense des animaux l’un de ses chevaux de bataille, l’information 2.0 que permettent les nouvelles technologies est un facteur important. Le journaliste, notamment auteur d’«Antispéciste – Réconcilier l’humain, l’animal, la nature» (Ed. Don Quichotte, 2016), explique qu’en diffusant sur le web et les réseaux sociaux des images tournées en caméra cachée dans des abattoirs ou des élevages, des associations telles que L214 font tristement mouche. Car ces vidéos atroces rendent les gens conscients des horreurs commises quotidiennement et, pour le coup, les sensibilisent à ces questions. Une sensibilisation qui peut avoir des conséquences tangibles. Au niveau industriel, avec des multinationales qui s’engagent, d’ici à 2020, à ne plus vendre, acheter ni utiliser des œufs de poules élevées en batterie. Mais à l’échelle privée, aussi. Ainsi Célia ou Anne, étudiantes à Lausanne, qui ne peuvent plus envisager d’avaler une bouchée de viande depuis qu’elles ont vu des films de ce type: «Je ne fais pas de sensiblerie, assure la première. Mais je refuse d’être complice de ces barbaries!» Danseuse à Monthey, France, 49 ans, tient un discours similaire – tout en précisant qu’il est aussi question de goût: «Je n’ai jamais aimé l’idée de manger de la chair et, quand j’étais petite, je me posais déjà des tas de questions. Le jour où j’ai fait le rapprochement entre l’agneau qui était dans mon assiette et ceux que je voyais dans les prés, ça a été fini!»
L’impact des images, évidemment… mais ce n’est pas tout. Karine Lou Matignon, spécialiste de la relation homme-animal, ajoute que l’évolution des mentalités actuelle est également imputable à la science. Tout comme le professeur Bourg et Antoine Gœtschel, elle estime que les recherches éthologiques initiées par Konrad Lorenz, après la Seconde Guerre mondiale, puis des travaux comme ceux de la primatologue Jane Goodall, dès 1960,
ont permis d’ouvrir les esprits. Le philosophe lausannois précise: «Pendant des siècles, nous, Occidentaux, avons présupposé que nous étions seuls à avoir une intériorité, à pouvoir penser, décider et ressentir. Cette idée dominante, qui a donné l’animal-machine du philosophe René Descartes, au XVIIe, a prévalu sous nos latitudes jusque vers 1950, quand l’éthologie a commencé à démontrer que les animaux possédaient des capacités cognitives étonnantes!»
Déclaration des droits
A des degrés divers, les bêtes sont en effet comme nous: sensibles à la douleur, au plaisir ou à la souffrance. Elles peuvent aussi manifester des émotions ou faire preuve d’empathie… ce que savent d’ailleurs bien ceux qui côtoient des chats, des chiens ou des chevaux au quotidien! Ce constat «nous oblige à repenser la question de leurs droits et de nos obligations à leur égard», insiste Karine Lou Matignon. Elle poursuit: «Sachant cela, il faut réinventer une manière de vivre avec eux!» Comment? Par le biais du droit, préconise Antoine Gœtschel, président de Global Animal Law – GAL Project – une association internationale de protection de la faune qui réunit des personnalités comme le moine bouddhiste Matthieu Ricard, l’avocat américain Steven Wise ou le philosophe australien Peter Singer. Citant le fameux «Soyons réalistes, exigeons l’impossible!» de Che Guevara, l’avocat explique rêver de voir l’adoption d’une charte universelle grâce à laquelle la relation homme-animal serait totalement libérée des notions «de domination, d’exploitations et d’abus».
Ce qui pourrait se faire en octroyant aux «personnes non humaines» le statut de «patient moral, comme les enfants en bas âge, avec des droits mais pas de devoirs», précise Aymeric Caron. Lequel reprend: «De facto, ils auraient des tuteurs. Comme pour des tout-petits, qui ne sont pas en capacité de décider ce qui est bien ou mal pour eux, ces médiateurs prendraient des décisions à leur place, notamment en matière de contrôles des naissances, et s’assureraient qu’ils ont en tout point une bonne qualité de vie.»
Soit! Mais cette Déclaration serait-elle applicable à toutes les espèces? Ou, si non, selon quels critères en déterminerait-on les bénéficiaires? D’ailleurs, peut-on considérer un moustique et un pou comme un chat ou un cheval? A ce sujet, les avis divergent. Pour les uns, il est impossible de ne pas avoir «une gradation dans la relation aux animaux en fonction de leur forme d’intelligence, de leur sensibilité, du développement ou non d’un monde intérieur». Pour les autres, il ne saurait être question de hiérarchisation dans la mesure où «tous les êtres vivants manifestent la même volonté de vivre et, quelles que soient leurs capacités cognitives, estiment que leur existence est plus importante que celle des autres».
Transition en douceur
Un point fait pourtant l’unanimité: même si «le respect du vivant sensible» est une règle qui doit prévaloir, des mesures de défense ou de sauvegarde peuvent se justifier en cas de danger ou de risque de propagation d’une maladie, par exemple.
Pas farouchement opposé au principe de l’élevage, Dominique Bourg note: «Les droits des animaux sont une prolongation des droits de l’homme. Ils vont de pair, se renforcent mutuellement et ne se substituent pas les uns aux autres. Ils sont un apprentissage du respect de l’altérité: si je ne respecte pas celle de l’animal, j’ai peu de chance de respecter celle des autres humains!» Cette analogie, la philosophe française Corine Pelluchon la trace également. Dans son «Manifeste animaliste» (Alma Editeur, 2017), à l’instar du professeur, elle relève que «nos rapports aux animaux sont le miroir de ce que nous sommes devenus. Le système actuel de production de la viande reflète une société fondée sur l’exploitation sans limites des autres vivants!»
Triste et inquiétant, certes, mais pas immuable. Du moins si l’on en croit nos experts, qui entrevoient un avenir où les animaux seront traités dans le respect de leur être et, partant, sans chair animale dans nos assiettes: «La transition se fera sur plusieurs générations, sans doute, mais se fera!» assure Karine Lou Matignon. Elle poursuit: «Quand des réformateurs se sont élevés contre l’esclavage, leurs opposants ont annoncé l’effondrement de l’industrie du sucre par pénurie de main-d’œuvre. Or elle se porte très bien!» Péremptoire, elle conclut: «Il faut arrêter de se voiler la face: d’ici à 2050, la Terre sera peuplée de 9 milliards d’humains. Comment les nourrir si toutes les surfaces agricoles sont liées directement ou indirectement à l’élevage? On ne peut plus continuer comme ça. Si on veut survivre, il va falloir arrêter d’être dans l’exception humaine, se soucier de ce qui nous environne et repenser notre manière de vivre et de produire. Se préoccuper de la condition animale, c’est se préoccuper des hommes!»
Des lois pour les animaux
En matière de lois animalières, les législateurs doivent faire preuve de bon sens mais aussi d’imagination. La preuve par ces règlements édictés au fil du temps à travers le monde…
France
– Depuis plus de 200 ans, il est formellement interdit d’appeler son cochon «Napoléon». Une mesure prise pour ménager la susceptibilité impériale d’un certain Bonaparte…
– A priori, tous les Français doivent avoir une botte de foin chez eux au cas où le roi (si, si!) passerait avec son cheval.
Grande-Bretagne
– Elizabeth II possède tous les esturgeons, baleines, marsouins et dauphins du Royaume-Uni. Ce qui lui permettrait, en théorie, de réclamer chaque ganoïde ou mammifère aquatique pêché dans un rayon de 5 kilomètres autour des côtes britanniques.
Israël
– A Haïfa, il est interdit d’aller à la plage en compagnie d’un ours.
États-Unis
– A Fairbanks, en Alaska, il est illégal de donner de l’alcool à une souris. Par ailleurs, on peut y tuer des ours, mais il est interdit de les réveiller pour les photographier.
– A Boulder, dans le Colorado, on ne peut pas posséder un animal de compagnie car la notion de «maître» n’existe pas juridiquement. Pour le coup, on y est «nourrice pour animaux».
– Dans le Maryland, maltraiter les huîtres est punissable.
– A Saco, dans le Missouri, les femmes ont l’interdiction absolue de porter des chapeaux qui pourraient effrayer les enfants, les oiseaux ou les chevaux.
– Au Texas, il est illégal de tirer sur un bison du deuxième étage d’un hôtel.
Italie
– A Turin, on est amendable si l’on ne promène pas son chien au moins trois fois par jour.
Suisse
– La législation ne traite plus les animaux comme des choses, mais tient compte de leur qualité d’êtres vivants, capables de ressentir et de souffrir. Pour le coup, personne ne peut de «façon injustifiée» leur causer des douleurs, des maux ou des dommages, les mettre dans un état d’anxiété ou porter atteinte à leur dignité. La maltraitance et la négligence sont lourdement punissables.
Nouvelle-Zélande
– Depuis mai 2015, les animaux sont légalement et officiellement reconnus comme des «êtres dotés d’intelligence». Concrètement, tandis que la loi interdit l’expérimentation animale pour les cosmétiques, les personnes en charge d’animaux ont l’obligation de «veiller correctement à leur bien-être».
Petit lexique
Le «végane» exclut de sa vie tout produit issu de l’exploitation directe ou indirecte des animaux. En plus d’un régime strictement végétalien, il ne porte pas de fourrure (une évidence!) et refuse également le cuir, la laine ou la soie. Par ailleurs, en toute logique, il veille à n’utiliser que des cosmétiques et produits d’hygiène à base végétale, élaborés sans tests ni expérimentation animale.
Le «végétalien» adopte un régime alimentaire ne comportant que des aliments issus du monde végétal. Exit, donc, les œufs, les produits laitiers ou encore le miel.
Le «végétarien» ne mange pas de viande, pas de poisson, pas d’insectes. En revanche, il peut consommer des œufs, du lait et des produits laitiers. En Suisse, leur nombre a doublé entre 1997 et 2012 et selon différentes études, entre 3 et 11% des gens ont aujourd’hui adopté un mode de vie no meat pour eux et leurs enfants.
Le «flexitarien» favorise une alimentation végétale mais ne s’interdit pas un peu de chair animale occasionnellement. A noter qu’il veille généralement à ce que la viande ou le poisson qu’il avale soient issus de productions éthiquement acceptables, si possible bio et locales. Un sondage effectué en 2013 pour le magazine «Coopération» montre que quelque 40% de la population suisse se reconnaît dans ce régime tandis que, selon une étude européenne, 85% des consommateurs néerlandais sont flexitariens.
L’«antispéciste» estime que toutes les espèces, homme compris, méritent le respect et ont le même droit fondamental à une bonne qualité de vie. Refusant la notion de domination humaine, il place son combat sur la même ligne que la lutte contre le sexisme ou le racisme. Il condamne fermement la maltraitance, l’abattage et l’exploitation des animaux.
Source de cet article :
Femina.ch – parution 22.01.2017 par Saskia Galitzch
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